Women's Health
April 15,2 2024
Le Scandale de la Mammographie en Suisse
Il était une fois, dans un paisible pays alpin où règnent la neutralité et les montres de luxe, la rédaction d'un article médical mémorable qui allait provoquer des ondes de choc profondes et durables au sein de la communauté médicale mondiale. Cet article allait diviser le pays, mais aussi le monde.
Ce moment historique est l'article de 2014 écrit par le Swiss Medical Board et publié dans le New England Journal of Medicine (l'une des revues médicales les plus respectées au monde). Le titre frappant est "Abolir les programmes de dépistage par mammographie ?", et le rapport préconise l'abolition du dépistage systématique par mammographie. Cela a déclenché un scandale non seulement en Suisse, mais aussi dans la communauté médicale internationale, où la Suisse est perçue comme une voix scientifique fiable et réputée. L'article, qui a reçu à la fois un soutien ardent et une critique véhémente, a alimenté un débat international persistant sur le rôle de la mammographie dans le dépistage systématique du cancer du sein.
Récapitulons l'article de 2014 qui a suscité mille répliques :
En janvier 2013, le Swiss Medical Board, une initiative indépendante d'évaluation des technologies de santé sous l'égide de la Conférence des Directeurs de la Santé des Cantons Suisses, de la Société Médicale Suisse et de l'Académie Suisse des Sciences Médicales, a été mandaté pour préparer une revue sur l'utilité du dépistage par mammographie.(1)
Après une année d'examen exhaustif de la littérature médicale, ils ont dévoilé leurs conclusions.
Dans son rapport, le Swiss Medical Board déclare que les programmes de dépistage systématique par mammographie pour la détection précoce du cancer du sein ne sont plus raisonnables pour les femmes. Une analyse systématique de la littérature existante a permis au Board de conclure que l'efficacité de la mammographie reste incertaine, que le surdiagnostic et les tests faussement positifs causent des dommages et que les programmes de dépistage ont un rapport coût-efficacité défavorable.(2)
Le conseil a donc recommandé qu'aucun nouveau programme de dépistage systématique par mammographie ne soit introduit et qu'une limite dans le temps soit imposée aux programmes existants.
Article original complet disponible ici.
Qu'en est-il aujourd'hui, 12 ans après cette publication controversée dans le New England Journal of Medicine ?
À ce jour, la Suisse reste polarisée, sans consensus national uni sur le rôle de la mammographie dans le dépistage du cancer du sein. Seuls 12 des 26 cantons de la Suisse proposent un dépistage systématique par mammographie.
A l'image de la Suisse, la communauté médicale mondiale reste elle aussi scindée.
N'y a-t-il pas de réponse simple et unificatrice ?
La santé étant à la fois un état individuel et une considération de masse, il y a plusieurs nuances à prendre en compte. J'aborderai celles qui sont pertinentes pour l'individu, car en tant que médecin, je me préoccupe avant tout de la santé et de la survie de mes patients. Je ne tiendrai pas compte du rapport coût-efficacité et autres considérations relatives à la population de masse,car ma priorité ne porte pas sur les budgets nationaux ni sur les agendas politiques.
1. L’âge
Dans les cantons ayant recours à la mammographie pour le dépistage du cancer du sein, la mammographie est proposée tous les 2 ans aux femmes de plus de 50 ans. Aucun canton ne propose de dépistage systématique par mammographie aux femmes de moins de 50 ans. Ceci est médicalement justifié puisque la mammographie est moins efficace pour détecter le cancer chez les femmes pré-ménopausées ayant des seins plus denses, car les tissus denses peuvent cacher des cellules cancéreuses. De plus, les tissus mammaires jeunes sont extrêmement sensibles et beaucoup plus susceptibles d'être endommagés par les rayonnements. (3)
Cependant, un débat est en cours sur la scène médicale internationale pour avancer l'âge du dépistage du cancer du sein, car la plus forte augmentation de l'incidence du cancer du sein se constate chez les femmes plus jeunes. En Suisse, comme dans d'autres pays, la plus forte augmentation des nouveaux cas de cancer du sein en 2023 concerne les femmes de moins de 40 ans.
La mammographie est donc peut-être acceptable pour détecter le cancer chez les femmes après la ménopause, une fois que le tissu mammaire est moins dense et moins vulnérable aux dommages causés par les radiations. Mais il est clair qu'une alternative est nécessaire pour les femmes plus jeunes pour lesquelles la mammographie n'est pas la technique de dépistage la plus fiable ni la plus sûre.
2. Effets nocifs potentiels
Deuxièmement, alors que de nombreux cliniciens et patientes ont l'impression que la mammographie est un simple examen inoffensif pour détecter le cancer du sein, le rapport du Swiss Medical Board a démontré que ce dépistage peut finir par nuire à plus de femmes qu'il n'en aide. (2)
Les résultats faussement positifs et le surdiagnostic des cancers du sein signalés par le Swiss Medical Board sont considérés comme des conséquences néfastes mais inévitables du dépistage par mammographie selon la Ligue Suisse contre le Cancer. (4)
Il y a aussi l'effet délétère de la mammographie elle-même sur le tissu mammaire. La mammographie est une technique d'imagerie qui repose sur des rayonnements ionisants susceptibles d'endommager les cellules et l'ADN. La Ligue Suisse contre le Cancer reconnaît le risque de cancer du sein radio-induit(4). Elle estime à 0,1 % le risque d'induire un cancer du sein par exposition aux radiations lors d'une mammographie. Bien qu'il s'agisse d'un faible pourcentage, il se traduit par de nombreuses vies individuelles à l'échelle nationale et mondiale. Comme l'affirme la Ligue suisse contre le cancer :"Le risque est réel, mais minime". Toutefois, d'un point de vue individuel, un cancer réel induit par la mammographie reste un cancer réel si vous avez la malchance de faire partie des 0,1 %.
Il est évident donc que l'exposition aux rayonnements ionisants de la mammographie doit être réduite autant que possible.
3. Détection du cancer
En fin de compte, l'objectif est de détecter et de traiter le cancer le plus tôt possible. Lorsqu'il est diagnostiqué à un stade précoce, 99 % des femmes atteintes d'un cancer du sein survivent. Lorsque le cancer du sein est diagnostiqué à un stade avancé, seules 25 % des femmes survivent(5). L'amélioration spectaculaire du taux de survie en cas de détection précoce justifie que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour détecter et traiter les cancers du sein le plus tôt possible. Non seulement la détection précoce réduit la mortalité, mais elle réduit également le recours à la mastectomie et aux traitements plus invasifs. Les études médicales confirment que le dépistage du cancer du sein au plan populationnel réduit la mortalité par cancer du seinchez les femmes de plus de 50 ans, mais aussi chez les femmes de 40 à 49 ans. Il est donc clair que le dépistage est bénéfique, mais les avantages du dépistage devraient largement dépasser les inconvénients potentiels. De plus, les femmes plus jeunes doivent pouvoir bénéficier d'un dépistage sûr et fiable.
À cette fin, il est utile de connaître les différents outils de dépistage disponibles avant de pouvoir les comparer.
Les outils de dépistage les plus anciens et les plus courants sont les techniques d'imagerie structurelle. Ces techniques nous permettent de voir les éléments structurels du corps tels que les os, les tissus mous et les tumeurs.
La mammographie est la technique d'imagerie structurelle la plus courante pour le dépistage du cancer du sein. Elle est peu coûteuse et facile à appliquer à une population de masse. Les seins sont comprimés entre deux plaques et bombardé de radiations. En mesurant l'absorption de ces radiations, nous obtenons une image des tissus, ou plus précisément de leur structure. Nous pouvons voir des structures évidentes telles que des tumeurs,des distorsions ou des calcifications. Nous ne pouvons pas voir le flux sanguin ou les vaisseaux, ni l'inflammation.
L'IRM est la technique d'imagerie structurelle de référence pour les seins, car elle permet de voir des structures plus fines. Cette technique permet également de voir des éléments structurels, mais avec plus de détails. L'injection d'un produit de contraste dans le sang permet également de visualiser les vaisseaux sanguins et les formations vasculaires. L'IRM est également la technique de référence pour évaluer l'intégrité des implants mammaires.
L'échographie est une technique qui utilise des ondes sonores pour créer une image. Elle est largement disponible et non invasive(bien que parfois inconfortable). Cependant, elle est également moins précise que l'IRM et peut être difficile à interpréter en cas de tissu mammaire plus dense.
Les autres options d'imagerie sont les techniques d'imagerie fonctionnelle.
L'imagerie fonctionnelle analyse la fonction des tissus et des organes, par opposition à leur structure. Les techniques d'imagerie fonctionnelle les plus anciennes comprennent le PETscan et la scintigraphie, qui utilisent des traceurs radioactifs injectés dans le corps pour évaluer l'activité des tissus et des organes. Elles sont le plus souvent utilisées pour détecter et surveiller les cancers. Leur inconvénient évident est l'introduction de substances radioactives dans le corps.
La thermologie ou thermography médicale est une branche plus récente de l'imagerie fonctionnelle qui repose sur la détection des émissions infrarouges (chaleur) par le corps, ce qui nous permet de visualiser le fonctionnement des tissus sans radiations ni procédures invasives. La thermologie est également la technique qui nous donne les meilleures chances de prédire et de prévenir le cancer, comme nous le verrons plus loin.
4. Prévention du cancer
Dans un monde idéal, nous pourrions détecter le cancer avant qu'il ne se forme. Nous identifierions les tissus mammaires présentant un risque de cancer futur, ce qui permettrait de prendre des mesures préventives précoces. Et le potentiel futur cancer du sein ne se développerait tout simplement jamais.
Heureusement, en médecine, ce monde idéal est déjà à notre portée.
Le cancer ne se développe pas dans un sein sain. Le tissu mammaire devient d'abord malade. C'est à ce moment-là que les tests fonctionnels qui examinent la fonction des tissus offrent l'avantage unique d'identifier les seins "à risque". La fonction des tissus présente des anomalies avant que des changements structurels ne se produisent. En d'autres termes, les tissus mammaires fonctionnent déjà de manière anormale avant que le cancer ou la tumeur ne se forme.
La thermographie est une technique d'imagerie fonctionnelle non invasive qui permet de visualiser la fonction des tissus. Comme un PET scan ou une scintigraphie, mais sans radiation. La thermographie peut détecter des cancers, mais elle présente l'avantage unique de détecter également des facteurs de risque de cancer reconnus (tels que le tissu mammaire fibrokystique ou dense, la dominanceœstrogénique et l'inflammation), avant que le cancer ne se déclare.
Cela permet une intervention préventive précoce et peut guider les choix en matière de mode de vie et de santé afin d'empêcher l'évolution vers le cancer.
Un exemple fréquent est l'hormonothérapie post-ménopausale : l'hormonothérapie substitutive à long terme est un facteur de risque connu de cancer du sein. Elle peut également augmenter la densité du sein, rendant plus difficile la détection de cancer par les techniques d'imagerie structurelle (mammographie et échographie). C'est alors que le dépistage fonctionnel par thermographie peut permettre une prévention primaire en détectant les femmes ayant des seins"à risque" et en alertant quand il faut arrêter ou réduire le traitement hormonal substitutif.
Un compromis ?
L'objectif ultime étant de protéger et de promouvoir la santé de l'individu, mes recommandationsvisent uniquement à obtenir les meilleurs résultats pour l'individu. Je ne tiendrai pas compte des restrictions financières ou des affiliations politiques/culturelles/industrielles/religieuses ou autres.
La thermographie a donné d'excellents résultats dans la détection du cancer du sein lors d'essais cliniques, avec certaines études démontrant une sensibilité de 97 %(97 % des cancers ont été détectés)(6). Dans une étude plus large réalisée en Chine en 2011, la thermographie s'est avérée plus précise pour le dépistage du cancer du sein que l'échographie et la mammographie pour les petites tumeurs (inférieures à 2 cm), avec une précision de 97,1 % et une sensibilitéde 90,4 %(7).
Cependant, la thermographie est un examen fonctionnel et fournit des informations différentes de l'imagerie structurelle (IRM, échographie et mammographie). Les informations fournies par l'imagerie structurelle et fonctionnelle sont complémentaires et non concurrentes. Les deux techniques ne se remplacent pas l'une l'autre, mais se complètent et apportent des informations différentes.
Pour une prise en charge individuelle optimale, le meilleur protocole consiste à utiliser plusieurs outils et à combiner la thermographie à l'imagerie structurelle afin d'obtenir l'évaluation la plus précise et la plus complète.
La recherche démontre également que les meilleurs résultats en matière de détection précoce du cancer du sein sont obtenus en associant l'imagerie structurelle à l'imagerie fonctionelle. Dans les études cliniques, alors que la mammographie seule a un taux de détection de cancer de 84 %, la combinaison de la mammographie avec la thermographie a amélioré ce taux de détection à 95 %(8). Cela peut se traduire par une survie potentielle pour une patiente dont le cancer est détecté à temps. Cette amélioration des performances reste vraie lorsque l'on combine la thermographie avec les autres techniques d'imagerie structurelle (à savoir l'IRM et l'échographie).
En outre, la thermographie est la seule technique d'imagerie qui nous donne la possibilité de faire de la prévention primaire (prévenir le cancer avant qu'il n'apparaisse), plutôt que de détecter le cancer une fois qu'il s'est déjà développé.
La véritable innocuité de la thermographie (pas de rayonnement, pas de contact, pas d'injections invasives ou de produits de contraste, pas de compression) signifie qu'il n'y a absolument aucune contre-indication.
Il s'agit d'un outil supplémentaire à risque zéro qui permet non seulement de détecter le cancer du sein à un stade plus précoce, mais aussi de repérer les risques potentiels de cancer futur et d'intervenir à titre préventif.
Et pour revenir au sujet de l'âge : comme la thermographie examine la fonction et non la structure, elle est tout aussi précise dans le cas de tissus mammaires denses. Elle reste fiable chez les femmes plus jeunes dont le tissu mammaire est plus dense. C'est donc la technique de choix pour les femmes de moins de 50 ans dont les seins sont plus denses et plus difficiles à évaluer avec la mammographie ou l'échographie.
Par ailleurs, la précision de la thermographie n'est pas affectée par la présence d'implants. Comme il n'y a pas de compression, il n'y a pas non plus de risque d'endommager les implants.
Réflexions finales
Alors que la Suisse, et le monde, restent divisés et soumis à des considérations de budget et de politique nationale, les médecins et les patients conservent leur droit à la liberté individuelle. Y compris leur droit de choisir les meilleurs protocoles de dépistage du cancer du sein.
C'est là que l'ajout de la thermographie au dépistage structurel peut faire la différence en offrant une détection et une prédiction plus précoces du cancer du sein.
Et cela peut sauver une vie.
REFERENCES
1. Biller-Andorno,Nikola; Jüni, Peter (2014). Abolishing mammography screening programs? A view from the Swiss Medical Board. New England Journal of Medicine,370(21):1965-1967. DOI: https://doi.org/10.1056/NEJMp1401875
2. Vassilakos P, Catarino R, Boulvain M, Petignat P. Controversies in the mammography screening programme in Switzerland. Swiss Med Wkly. 2014 Apr 24;144:w13969. doi:10.4414/smw.2014.13969. PMID: 24764157.
3. Pijpe A,Andrieu N, Easton D F, Kesminiene A, Cardis E, Noguès C et al. Exposure to diagnostic radiation and risk of breast cancer among carriers of BRCA1/2 mutations: retrospective cohort study (GENE-RAD-RISK) BMJ 2012; 345 :e5660doi:10.1136/bmj.e5660
4. Doris Schopper, Chris de Wolf (2007). Breast cancer screening by mammography: International evidence and the situation in Switzerland. A joint publication of the Swiss Cancer League and Oncosuisse. Available online here.
5. https://www.cancerresearchuk.org/about-cancer/breast-cancer/survival
6. Parisky YR, SardiA, Hamm R, Hughes K, Esserman L, Rust S, Callahan K. Efficacy of computerized infrared imaging analysis to evaluate mammographically suspicious lesions. AJR Am J Roentgenol. 2003 Jan;180(1):263-9. doi: 10.2214/ajr.180.1.1800263. PMID: 12490517.
7. Yao X, Wei W, LiJ, Wang L, Xu Z, Wan Y, Li K, Sun S. A comparison of mammography,ultrasonography, and far-infrared thermography with pathological results in screening and early diagnosis of breast cancer. Asian Biomedicine. 2014 Feb 1;8(1):11-9. doi: https://doi.org/10.5372/1905-7415.0801.257
8. Keyserlingk JR,Ahlgren PD, Yu E, Belliveau N. Infrared Imaging of the Breast: Initial Reappraisal Using High-Resolution Digital Technology in 100 Successive Cases of Stage I and II Breast Cancer. Breast J. 1998 Jul;4(4):245-51. doi:10.1046/j.1524-4741.1998.440245.x. PMID: 21223443.